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En aparté - Marcel Rufo : Tout n'est pas joué, tout se joue toujours !

Professeur Marcel Rufo - Photo Éditions Anne Carrière

Pour Bayard Service, notre journaliste est allée demander conseil à Marcel Rufo, le pédopsychiatre préféré des Français, pour réussir son année scolaire. Ça y est, depuis plusieurs semaines, les élèves ont pris leurs marques. Retrouvailles avec les camarades, découverte des emplois du temps et des professeurs, parfois de nouvelles matières… Et, pour les 6es et les 2ndes, découverte aussi d’un nouvel établissement et de nouveaux rythmes. Comment faire pour partir du bon pied et se lancer du mieux possible dans cette nouvelle année scolaire ? Comment arriver à son rythme de croisière et le garder au retour de vacances de Noël ?

Y a-t-il une classe pour laquelle la rentrée est plus délicate à appréhender que pour les autres ?
Depuis quelques années, le cycle 3 de l’Éducation nationale réunit le CM1, le CM2 et la 6e. C’est une excellente chose ! On ne se rend pas toujours compte et on l’a souvent oublié depuis que nous sommes passés par là, mais c’est quand même un choc de ne plus avoir sa ou son professeur des écoles et d’avoir plusieurs professeurs dans plusieurs matières.
A partir du CM1, du CM2, il y a parfois déjà des intervenants en primaire. Les enfants s’habituent à avoir d’autres profs : en éducation physique, en art plastique par exemple, ou encore pour l’apprentissage des langues. Cela ouvre un champ de sociabilité aussi important que les autres apprentissages.

C'est un choc de ne plus avoir son ou sa professeur des écoles

L’arrivée au collège est donc une étape importante ?
Le garçon ou la fille qui rentre en 6e a déjà eu un choc à l’entrée au CP. Mais au collège, les choses sont différentes car il y a déjà des filles et des garçons grands. Vous vous retrouvez à croiser des gosses pubères alors que vous êtes encore un petit enfant. Ce n’est pas évident d’arriver à appréhender de mélange « infantile et plus grand ». Les choses sont plus gommées à l’entrée au lycée ou en enseignement pro. C’est le complexe du homard qu’ont si bien décrit Françoise Dolto et sa fille Catherine :

Les homards, quand ils changent de carapace, perdent d’abord l’ancienne et restent sans défense, le temps d’en fabriquer une nouvelle. Pendant ce temps-là, ils sont très en danger. Pour les adolescents, c’est un peu la même chose. Et fabriquer une nouvelle carapace coûte tant de larmes et de sueurs que c’est un peu comme si on la “suintait”. Dans les parages d’un homard sans protection, il y a presque toujours un congre qui guette, prêt à le dévorer. L’adolescence, c’est le drame du homard ! Notre congre à nous, c’est tout ce qui nous menace, à l’intérieur de soi et à l’extérieur, et à quoi bien souvent on ne pense pas.

Les enfants vont devoir apprendre tout en faisant face aux grands changements qui les attendent ?
Oui, car le début du collège, c’est aussi le début de la sexualité. Celui du parcours des règles pour les filles, des premières éjaculations chez les garçons. Ils sont en route vers leurs premières relations sexuelles, qui ont lieu à présent autour de 13 et 14 ans. C’est l’approche de quelque chose de très important.

L’adolescence est toujours décrite comme une période délicate à vivre…
C’est vrai, parce que l'adolescence, c’est éviter le passé pour se projeter dans l’avenir, alors qu’eux sont dans le présent. Mais c’est l’époque de la meilleure amie, du meilleur ami : c’est une époque géniale ! Les parents peuvent parler à leurs adolescents de leurs difficultés à l’époque. Qu’ils n'oublient pas que nous y sommes passés avant eux, que nous pouvons les comprendre. Cela peut être le rôle des grands-parents, qui sont dans une situation de bienveillance plus que d’autorité avec eux.

Nous y sommes passés avant eux : nous pouvons les comprendre

Les parents doivent-ils être attentifs quelque chose en particulier ?
Ils doivent l’être à la notion des devoirs. A l’entrée en 6e, les parents ont une certaine tendance à laisser tomber, en se disant : « Ils se débrouillent. » Et cette distance certaine des parents qui s’installe alors risque d’être anxiogène pour les ados. Surtout que, de l’autre côté, on ne cesse de leur répéter que le moment le plus important, c’est l’entrée au collège. On leur assène régulièrement : « C'est là que se joue votre avenir ! »

Et ce n’est pas le cas ?
Mais non ! Bien sûr, c’est une étape importante, mais tout n’est pas foutu si ça ne se passe pas bien. On peut parfaitement s’accomplir totalement grâce à une orientation en technique un peu plus tard. Qui sera parfaitement adaptée et qui sera source de réussite. Tout n’est pas joué ! Tout se joue toujours ! On peut avoir eu un primaire difficile et très bien s’en sortir au collège. On peut avoir des difficultés dans certaines matières, mais en investir d’autres. Avec les spécialités, au lycée, on peut même supprimer des matières et en majorer d’autres. Donc réussir là où on est doué. Et plus encore dans de futures études supérieures si l'on choisit d’en faire. Des études qui seront alors en adéquation avec ses talents.

Je vous sens très optimiste ?
Oui, j’ai un discours optimiste ! Nous, les Français, nous sommes les champions du monde du pessimisme. Mais nous ne devons jamais perdre une chose de vue : l’enfant construit son avenir, et il va être favorable. A l’entrée en 6e, il faut lui expliquer que toutes les difficultés du passé sont derrière. « A toi de jouer ! On remet le compteur à zéro et c’est une nouvelle chance pour toi de bien t’en sortir, d’évoluer.»

Cette époque est pourtant assez anxiogène, comment l’aborder avec eux ?
L’idée, quand on parle de l’Ukraine par exemple, c’est de leur dire que nous avons eu la chance de ne pas connaître de guerre, en dehors de celle de l’Algérie. Mais on a toujours observé qu’après la guerre, il y a une période d'euphorie. Alors oui, on vit des difficultés, de près ou de loin, on les traverse ou on les observe, mais la vie reprendra. On peut espérer qu’à fin de la guerre, il y aura une relance de vie et de joie très vive. Après la Deuxième Guerre mondiale, on a connu un baby-boom, et cette génération a eu toute la chance de la terre. Eux qui ont vécu la guerre en Europe, ils pourront la raconter à leurs enfants. Ils s’inscrivent dans une histoire qui renvoie à leurs arrières-grands-parents. Concernant l'écologie, disons-leur qu’ils sont responsables du monde à venir. Mais pas en les culpabilisant, en stimulant leur côté narcissique : « Nous avons été inconséquents, à vous de jouer ! » Les germes de l’avenir sont en eux, qu’ils en soient conscients

Les germes de l'avenir sont en eux

Quels sont les écueils qu’il faut à tout prix éviter ?
Le pire, ce sont des parents qui vont dire : « L’école, ce n’est pas ton fort. » Ils ne se rendent pas compte du mépris qu’il peut y avoir dans ces paroles. Le respect, c’est celui des enseignants, mais aussi le respect de l’autre et de ses opinions. La personne pas douée le sait. L'ado est aux aguets de ce qui peut être une déception auprès de parents. Les parents doivent accepter qu’ils ont l’enfant qu’ils ont, pas forcément celui qu’ils souhaitaient. Et quand un gosse a des difficultés, il faut toujours lui demander en quoi il est bon d’abord. Après, seulement, il dit en quoi il est moins bon. Que les élèves ne restent pas bloqués sur ce qui ne va pas !

Quels sont les bons réflexes à adopter ?
Il faut qu’ils travaillent ! Et quand je dis « travailler », je ne parle surtout pas de se contenter de copier/coller sur la toile. Je suis favorable au travail en commun, à trois par exemple : un bon, un moyen, un mauvais. C’est très formateur d'apprendre à travailler en groupe, ou avec un copain. Et surtout, travailler dès le début. Les enseignants se font une idée au premier trimestre : pas question de passer à côté ! Dites-le aux enfants : « Ton avenir dépend de ta volonté et de la partie de la souffrance que tu éprouveras à travailler. » Il n’y a pas de secret pour réussir : c’est le travail, le travail, le travail. Bien sûr que certains vont râler ! Mais on peut les faire relativiser : « Tu vas vivre cent ans, ça va… Tu as le temps de tout vivre ! » S’il y a un secret, c’est de réussir à avoir un travail qui leur plaît. Et pour ça, il faut bosser.

Doit-on les mettre en garde sur les réseaux sociaux ?
Je suis favorable aux réseaux sociaux bien utilisés. Ils sont parfois l’occasion de faciliter le travail en groupe, par exemple. Les réseaux sociaux, bien utilisés, c’est génial ! Avec son téléphone, on a un dictionnaire dans la poche. Quand on déambule, que l’on vagabonde sur la toile, on cherche un truc, on va ailleurs. Si j'ai un conseil à donner aux parents, c’est : « Allez avec eux, ils vous apprendront plein de choses. » En revanche, il faut être très vigilant pour être certains que les enfants ne s’enferment pas dans la virtualité. Quand on a plein d’amis virtuels, on n’a plus d’amis réels. C’est propédeutique. On se planque derrière son écran, derrière des masques, c’est le carnaval de Venise en permanence.

Propos recueillis par Delphine Hossa

Bibiographie sélective :
Autoportrait en thérapie chez Anne Carrière
En cours de gestation : Être parent pour les nuls