En aparté - Yves Paccalet : Il faut parler avec le coeur — Exprime-toi !

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Pour Bayard Service, notre journaliste est allée interroger Yves Paccalet sur la notion de biodiversité et la défense de l’environnement. Journaliste, écrivain, naturaliste et philosophe, cet ancien collaborateur du commandant Cousteau est un militant écologique de la première heure. Fidèle à lui-même, il nous livre, sans filtre, sa vision de notre rapport à la nature et du rôle des enfants dans la protection de l’environnement.

Pourquoi insiste-t-on tellement sur la sauvegarde de la biodiversité ?
Je trouve que la biodiversité est un mauvais mot. Il s’est imposé, donc on va l’utiliser, mais je le regrette. La biodiversité a remplacé la nature. Or, on savait ce qu’était la nature. Quand j’étais jeune écolo, on travaillait à « la défense de la nature » : les parcs naturels, les réserves naturelles,… Le mot « nature » touchait le cœur de sens. C’est l’endroit où les gens avaient envie d’aller : la nature, c’est la vie, la diversité.

Je trouve que la biodiversité est un mauvais mot

Ce mot de biodiversité vous agace ?
Pourquoi avoir abandonné ce mot de « nature » pour un barbarisme scientifique ? Le terme biodiversité est un mot technocratique, formé d’un mot latin avec un préfixe grec. On veut dire la même chose que ce qu’on voulait dire avant. Mais on utilise un néologisme, alors qu’on avait un mot compréhensible immédiatement. Au début, personne ne comprenait ce que cela voulait dire. Et puis, petit à petit, on a compris que cela signifiait « la diversité de la vie ». Les partis politiques se sont emparés de ce mot, tout comme les gens dans les ministères, les animateurs de télé,… Aujourd’hui, tout le monde parle de biodiversité. C’est un mot-valise où on fourre tout, sans jamais le définir. C’est comme si on disait seulement : « Prions mon Dieu, amen. » C’est devenu un morceau de cantique nécessaire : on protège la nature, on y rajoute la biodiversité, et hop !

Vous voulez dire que ce n’est pas clair ?
Quand on parle d’environnement, ce qui compte, c’est le climat. Les différents travaux qu’on essaie de mener pour éviter le réchauffement, le chaos climatique : c’est ce qui vient en premier. Pourquoi ? Parce que c’est quantifiable. On sait ce que produit la combustion d’un litre de pétrole. La biodiversité, on ne fait que la citer, on ne sait jamais ce qu’on met dedans : « Nous allons protéger le climat (il ne faut pas que la température augmente de plus d’un degré…) et la biodiversité (c’est-à-dire ?). » Je plaide pour qu’on revienne aux expressions de mes 18 ans. Quand avec Frison Roche, nous avons travaillé au lancement du premier parc naturel, celui de Vanoise, en 1963 : nous parlions de « défense de la nature ».

Pourquoi est-ce que ce terme de « nature » vous tient tant à cœur ?
Il faut revenir aux basiques.Dans « nature », il y a de la science : on sait ce qu’on protège, on connaît les espèces. Mais il y a aussi du cœur, de l’affection. On veut la protéger parce qu’on l’aime. Dans « biodiversité », il n’y a pas un centigramme d’affection. On dit « J’aime la nature », pas « J’aime la biodiversité ». Je sais qu’en disant cela, je rame à contre-courant, mais je l’ai souvent fait. On doit retrouver de la nature parce qu’on l’aime et pas parce que c’est dans un livret à destination des cadres des ministères ou des équipes des municipalités. Il faut aimer la nature car elle repose sur la science, la connaissance, mais aussi sur sentiment de vouloir la protéger parce qu’on l’aime.

Yves Pccalet en aparte Antarctique

Vous pensez qu’on devrait réapprendre l’amour de la nature à nos enfants ?
On devrait parler avec le cœur, justement parce qu’on parle à des enfants. Ils aiment « les papillons », ils ne sont pas là pour protéger « la biodiversité des lépidoptères ». Ils aiment les dauphins, les ours, … Si on ne se base pas là-dessus, on ne les protégera pas. Nous devons continuer dans la voie que les enfants nous montrent : on protège ce qu’on aime. C’était ce que nous disions toujours avec le commandant Cousteau. Et parfois, j’ai l’impression d’être devant une arnaque. Devant des gens qui ne connaissent pas la nature et n’en parlent pas de façon sentimentale, avec du cœur, de l’amour et le désir de la protéger parce qu’ils ont compris qu’on faisait partie du même milieu sauvage et pas du même milieu artificiel.

la prise de conscience ne suffit pas : il faut passer à l’acte

Avez-vous l’impression que nous avons pris conscience de l’importance de protéger le vivant ?
Cela fait longtemps (une cinquantaine d’années en tant qu’écolo militant, scientifique et littéraire) que je dis qu’il faut arriver à cette prise de conscience. Elle a lieu petit à petit. On a fait un certain nombre de progrès. On sait à présent que si l’on était seuls sur la terre, on ne le resterait pas longtemps. Sans l’ensemble des vivants sur la terre, on ne survivrait pas. Se battre pour le climat est très important, mais ce n’est pas suffisant. Tout comme la prise de conscience ne suffit pas : il faut passer à l’acte. On peut prendre conscience de tout, cela ne changera rien. Il faut attaquer le noyau dur de l’humanité : nous sommes des animaux bizarroïdes.

Quelle est votre définition de ces animaux bizarroïdes ?
Comme tous les animaux, nous avons trois grandes pulsions animales :

  • La pulsion de reproduction, à laquelle nous nous adonnons à toute vitesse. Depuis ma naissance en 1945, le nombre d’humains sur terre a plus que triplé.
  • La pulsion de domination : on veut être le plus haut possible dans la hiérarchie. On veut être les dominants, les chefs.
  • La pulsion de territoire : on a vraiment besoin de notre territoire.

Le problème, c’est qu’on ne se contente pas de ce que l’on a, on veut toujours l’agrandir. En plus de ces trois pulsions animales, nous avons trois capacités de les rendre encore plus impératives :

  • L’intelligence. Elle nous permet de créer – notamment de la technologie par l’intermédiaire de la science – et de changer profondément notre environnement. Cette capacité se retrouve aussi chez certains animaux, comme les dauphins, les grands singes, les éléphants, les corbeaux, mais eux n’ont pas la capacité de changer la face de la terre.
  • La conscience. Les animaux que je viens de citer ont en partie cette capacité, mais chez nous, elle est très développée. Nous avons cette capacité de savoir qu’on est au monde, individuellement et collectivement.
  • L’empathie. C’est avoir une sorte d’élan pour sauver son frère en difficulté (ou sa sœur), mais aussi savoir que l’autre est en train de penser ce que l’on pense nous-mêmes. C’est la capacité de se mettre à la place de l’autre. On la retrouve chez certains grands signes, comme les bonobos, par exemple.

Combiner ces pulsions avec la conscience, l’intelligence et l’empathie fait de l’homme une espèce tout à fait à part des autres et surtout celle du « toujours plus ».

C’est cette particularité qui nous dessert ?
Oui, parce que c’est sans fin. Cela continue avec Poutine, l’industrie lourde, les énergies : il faut toujours prendre le plus, plus vite, pour que l’autre ait moins de territoire et de domination que moi. On détruit tout ce qui est autour de nous. C’est difficile d’inverser la machine. On peut le faire si on combine notre intelligence et notre empathie positive. Mais cette prise de conscience est bien plus longue que celle qu’on a de tout détruire. Sans cette réflexion philosophique comme espèce profondément différente des autres, avec une différence non pas de nature mais de degré, relayée politiquement, organisationnellement, diplomatiquement, syndicalement… On aura toujours le réflexe de prendre avant l’autre. On est en permanence dans cet entonnoir où l’on fait disparaître dans un trou noir astronomique toutes nos bonnes résolutions dès qu’il y a un conflit qui se présente. C’est difficile pour l’humanité d’envisager son futur sans des révolutions philosophiques et morales, sans expliquer ce qu’est vraiment l’humanité.

Comment faire ?
Il faut revenir aux leçons de morale, comme celles que j’avais à l’école quand j’étais petit. On montrait aux enfants que tout n’est pas simple et que si chaque individu ne fait pas un effort, la société sera moins facile à organiser de façon pacifique. Mais aujourd’hui, personne ne veut faire d’effort. Il y a de petits efforts positifs ici ou là, oui, mais pas une volonté des citoyens pour un salut collectif. C’est pour cela que je suis toujours pessimiste sur salut de l’humanité.

Vous semble-t-il que les enfants sont plus éduqués que nous sur ces questions ?
Il y a une question qui m’est souvent posée quand je fais des conférences avec des enfants. On finit par y arriver quand je leur demande si on a assez pour tout le monde quand on voit l’état d’épuisement de la planète. Les enfants comprennent vite que les citoyens ne veulent pas abandonner leur bagnole, leurs privilèges de pays riches… Et cette question est toujours la plus triste pour le philosophe que je suis : « Mais monsieur, si la planète est fichue, on va aller vivre sur laquelle ? » C’est alors que j’explique que nous pouvons nous sauver.

Il y a donc de l’espoir ?
Pour ce faire, il faut pratiquer trois utopies :

  • Le partage, sinon nous ne vivrons jamais dans une société qui ne se fait pas la guerre.
  • Les États-Unis du monde. Si l’on n’arrive pas à faire l’Europe et créer des structures politiques qui font que les lois sont les mêmes partout, alors il n’y a pas de possibilité de parler de succès dans lutte contre le réchauffement climatique. Il y aura toujours des petits malins qui iront là où l’on peut se faire de l’argent en pillant les endroits où l’on ne peut pas.
  • Ma philosophie du peu : savoir se contenter de ce que l’on a et pas toujours courir après le « toujours plus ». Nous devons être modestes dans nos besoins, solidaires avec autrui et construire une sorte de « pays-monde », de « pays-Terre », sans quoi l’on continuera à dégrader cette petite planète. Les enfants comprennent très bien ça. Nous devons faire un bond dans la tolérance mutuelle et la capacité de se prêter assistance les uns les autres plutôt que dans la capacité à nous envoyer des bombes sur la tête.

C'est l'amour entre les hommes qui permettra de les sauver

Et les enfants le comprennent ?
Ils le comprennent même très bien. Le tout, c’est de savoir s’ils vont accepter de ne pas se droguer à la consommation une fois adultes. S’ils vont résister à la sur-sollicitation du marketing. Pour eux, la sobriété, le respect de l’autre, de la nature, tout cela fonctionne assez bien. Les jeunes sont aussi dans cet élan. Ce qu’il faut voir, maintenant, c’est si cela peut continuer plus tard. S’ils arrivent à garder de la modération dans leurs désirs. Cela, les gens le comprennent même à l’âge adulte, mais il faut amorcer un mouvement collectif. Si ce sont seulement quelques-uns qui font de la décroissance ou de la croissance raisonnée, les autres ne voudront jamais faire pareil.

Entre L’humanité disparaîtra, bon débarras et Sortie de secours, où pensez-vous que nous soyons aujourd’hui ?
On vit une période très défavorable. Nous avons connu des périodes où nous étions dans l’idée que nous allions dans le sens positif, que nous allions nous secouer un peu pour nous en sortir. Aujourd’hui, avec les mouvements nationalistes et fascisants de droite comme de gauche, on est dans une régression effrayante, qui se traduit par la guerre de retour en Europe. Guerre qu’il y a toujours eu partout ailleurs. C’est très triste : on a pu croire qu’on allait devenir moins bêtes, moins agressifs… Ce n’est pas le cas. Au lieu d’admettre que la religion de l’autre est aussi bonne que la mienne, on va se taper dessus. On va faire des guerres de religions, des guerres idéologiques, économiques, entre pays… On va finir par quoi ? Une guerre nucléaire ? Les nationalismes et replis idéologiques, religieux, philosophiques sont consternants.

Que pouvons-nous faire ?
II faut que les enfants réveillent leurs parents ! Ils sont obnubilés par la technique, la technologie. Il faut que tout le monde retrouve un peu d’amour : c’est l’amour entre les hommes qui permettra de les sauver. Les enfants doivent rééduquer leurs parents, complètement en dehors du coup avec leur philosophie totalement matérielle, celle du profit rapide, du fait qu’on ne s’écoute pas entre nous. On a raison en toute chose, on veut aller vite, avoir des résultats tout de suite. On n’a plus aucune patience. Or, en étant un peu moins impatients, en ayant plus de tolérance et de respect envers les autres, on aurait les solutions. Les enfants ont tout cela. Il faut qu’ils le manifestent et qu’ils poussent notre société à le manifester aussi pour s’en sortir. Nos enfants doivent garder cette tolérance et ce respect de l’autre et de la nature qu’on perd en grandissant. Il faut les empêcher de devenir adultes !

Propos recueillis par Delphine Hossa

Yves Paccalet, petite biblio choisie
L’humanité disparaîtra, bon débarras ! , Arthaud, 2013
Sortie de secours, Arthaud, 2007
Le grand roman de la vie, JC Lattès, 2009